Capitale
de la douleur :
la voix du poème-relation entre liberté
d’allure
et altière facilité
Le soir est-il possible
Pour réduire mes rêves
Capitale
Ma capitale minuscule
J'ai convaincu les couleurs
d'imposture
Ma capitale féminine
Aux frontières du corps humain
J'accepte le danger d'être
amoureux je vis.
Paul Eluard1
Capitale de la douleur, L'amour la poésie : le poème-relation ininterrompu
En
sus des arguments qui tiennent aux politiques éditoriales ou aux
regroupements critiques, Eluard lui-même, avant que ne paraisse chez
Gallimard L’amour
la poésie
en 1929, ajouta un prière d’insérer au livre publié à la fin de
l’année 1926 par Les
Cahiers du Sud,
Les
Dessous d’une vie ou la pyramide humaine,
dont il nous faut évoquer la teneur. On retient généralement la
tripartition générique (« rêves, textes surréalistes et
poèmes », OC1, 1387) proposée par l’auteur pour les textes
regroupés dans ce livre et par conséquent pour l’ensemble de sa
production littéraire des années vingt. Il faut toutefois rappeler
ce qu’Eluard entendait s’agissant des « poèmes »,
« par lesquels l’esprit tente de désensibiliser le monde, de
susciter l’aventure et de subir des enchantements » :
« il est indispensable de savoir qu’ils sont la conséquence
d’une volonté assez bien définie, l’écho d’un espoir ou d’un
désespoir formulé » (OC1, 1388). Dans ses Premières
vues anciennes
en 1937, Eluard semble renier (« j’ai varié », OC1,
550) cette tripartition qu'André Breton avait aussitôt contestée y
apercevant une hiérarchie non surréaliste ; il effectue
toutefois une réénonciation continuée de ce qu’il nomme
« l’unité poétique » (ibid.) :
On
ne prend pas le récit de rêve pour un poème. Tous deux réalité
vivante, mais le premier est souvenir tout de suite usé, transformé,
une aventure, et du deuxième rien ne se perd, ni ne change. Le poème
désensibilise l’univers au seul profit des facultés humaines,
permet à l’homme de voir autrement, d’autres choses. Son
ancienne vision est morte, ou fausse. Il découvre un nouveau monde,
il devient un nouvel homme. (ibid.)
Pour
caractériser cette activité du poème, Eluard n’a pas trouvé
meilleure dénomination que ce titre - « (que je trouve
follement beau) », précise Mandiargues dans sa préface4
(CD,7) : L’amour
la poésie.
Un tel titre constitue la définition-valeur de l'oeuvre d'Eluard
depuis lors : « n’est-ce pas la formule exacte qui en
coiffant impérieusement la vie permet de la renouveler ? »,
ajoute Mandiargues (ibid.).
Eluard n'a cessé, semble-t-il, de travailler à cette force
transformatrice réciproque de la poésie et de l'amour dans et par
le poème-relation puisque les termes ne constituent plus des pôles
identifiables indépendamment d'une interaction transformatrice
continue et à proprement parler infinie. Une telle écriture-vie
porte ce qu'on peut appeler une anthropologie poétique amoureuse. Le
même Mandiargues, toujours dans sa préface, résume ainsi cette
visée : « la leçon d’Eluard est de substituer
définitivement le monde ainsi transfiguré à l’ancien et de s’en
mettre plein la vue et plein les doigts sans avoir peur de se
déchirer à ses aigus sommets » (CD, 8).
Si L’amour la poésie est devenue l’équivalent Eluard, son regroupement éditorial avec Capitale de la douleur constitue une opération majeure. Il s'agirait du geste continué d’une écriture pour laquelle L'amour la poésie constituerait le « ressouvenir en avant » d’une poétique5. Approcher un tel geste poétique « revient à examiner un ensemble de rapports, à penser un système de relations où se noue l’historicité d’une démarche créatrice », comme l’écrit Henri Scepi à propos des « écritures de prose » qu’il veut considérer « moins comme un arrière-plan inerte que comme un matériau toujours remodelé6 ». C’est précisément parce qu’Eluard est souvent arrêté à ces deux termes, l’amour et la poésie, dans des équivalences consonantes ou dissonantes relancées par des preuves biographiques ou stylistiques, que j’aimerais tenter une défense de sa mobilité ainsi que Scepi l'a montré pour les proses considérées par son étude. Une telle mobilité est interne à l'oeuvre, à ce livre en trois mouvements ; elle est également continuée dans nos lectures, dans chaque lecture. C'est ce qu'on peut appeler sa modernité, au sens qu'Henri Meschonnic donne : « l'infini du sujet », « un état naissant, indéfiniment naissant, du sujet, de son histoire, de son sens7 ». Jean-Pierre Richard a remarquablement signalé la spécificité « d’une poésie véritablement ininterrompue, où le sens n’existe que comme fuite, autopoursuite horizontale, indéfinie circulation du sens » :
C’est
que l’expérience première est ici celle du rapport continué, non
celle de la solitude. Rien n’y peut dès lors se poser qu’en
fonction d’un tropisme du trajet ou du transit. Dans son espace
même, soit énumératif, soit apparemment lacunaire, le poème est
un glissement qui brûle ses soutiens8.
On
pourrait facilement discuter la dichotomie que semble réactiver
Richard où solitude et relation amoureuse (« rapport
continué ») constitueraient deux pôles radicalement opposés
déterminant la tension dans et par laquelle l'oeuvre se compose.
Certes, Eluard ne cesse de tenir en poèmes la chronique des
intermittences de solitude et de relation amoureuse voire l'invention
de leur renversement incessant, mais le mot-valeur d'une telle
poétique expérientielle, c'est « entre » (voir, par
exemple, CD, 89) qui permet à Eluard d'associer les formes de vie et
les formes de langage entre amour et non-amour – amour dans le
non-amour et non-amour dans l'amour –, ainsi qu'entre poésie et
non-poésie – poésie dans la non-poésie et non-poésie dans la
poésie. Pour son étude de La
Vie immédiate,
Henri Meschonnic a titré « Un langage-solitude » quand
bien même ce livre d'Eluard visait, selon lui, « une
recréation du couple par le langage, une prosodie subjective et non
une habile expressivité9 » :
il ne s'agissait donc pas, pour le critique, de verser ce livre du
côté du pôle « solitude » mais d'y observer sous cette
dénomination un langage neuf situant d'ailleurs au cœur de la
solitude le travail de l'amour. Repartant donc de cette étude de
Richard qui pose fort justement que chez Eluard, « c’est le
rapport qui est premier, créant, de par son seul surgissement, les
termes qui lui permettent ensuite d’exister10 »,
j’aimerais élargir si ce n’est approfondir sa proposition qui
concernait le seul « face
à face »
d’un toi et d’un moi, c'est-à-dire dans la relation amoureuse
construite par le poème, à ce rapport anthropo-poétique qu’initie
dans et par l'écriture « l’amour la poésie » dès
Capitale
de la douleur et
que j'appelle la voix du poème-relation où une poétique s'initie
dans et par une anthropologie et une anthropologie dans et par une
poétique.Il ne s'agit pas de laisser de côté l’approche thématique, si merveilleusement tentée et réussie par Richard, pour ouvrir une approche formelle et/ou générique voire historique que d’autres ont déjà, par ailleurs, tentée et souvent réussie. L’enjeu ici serait assez modestement de redonner à Eluard la dynamique empirique que Capitale de la douleur engage avec ce dispositif où, indistinctement, l’expérience amoureuse et l'aventure poétique s’inventent vocalement à chaque pas comme anthropologie relationnelle. Cette dynamique des recommencements ou de la liberté, « comme dans toutes les poétiques du rapport11 », exige un accompagnement attentif à ses hauts et ses bas, ses méandres et ses vitesses, ses allures, à son rythme comme relation, à sa relation comme rythme. Non comme une forme trouvée qu’il s’agirait de défendre et d’illustrer mais comme une histoire, l'épopée d'une voix au sens d'un racontage12 où la voix ne cesse d’augmenter sa relation et où la relation ne cesse d'approfondir sa voix. La bande publicitaire du livre Capitale de la douleur portait la fameuse formule ducasienne en clausule du sixième chant : « Allez-y voir si vous ne voulez pas me croire. Comte de Lautréamont » (OC1, 1370-1371) : appel à une écoute visant paradoxalement un voir qui demande de s’inventer pas à pas dans ses intermittences tout en étant emportée par une force certaine : « Pourtant, j'ai vu les plus beaux yeux du monde, Dieux d'argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains, De véritables dieux, des oiseaux dans la terre Et dans l'eau, je les ai vus. » (CD, 115) André Breton exhortait le lecteur à la manière de Ducasse, quand il concluait quasiment son prière-d’insérer pour Capitale de la douleur en demandant de « louer seulement et sans mesure en lui [Paul Eluard] les vastes, les singuliers, les brusques, les profonds, les splendides, les déchirants mouvements du cœur13 ». Caractériser très précisément la spécificité de Capitale de la douleur de « mouvements du cœur » permet de tenir ensemble l’amour la poésie par ce que l’on peut appeler un corps-langage. Breton multiplie les qualifiants qui tiennent conjointement la pluralité constitutive et la variété dynamique du geste d’Eluard dans et par la voix du poème-relation ainsi qu'on le lit explicitement : « J'entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde » (CD, 136). Si l’on ne veut pas arrêter une telle dynamique ou réduire cette pluralité, il faut alors augmenter l’écoute non de ce qui retrouverait une rhétorique, de l’amour ou/et de la poésie, mais de ce qui initierait parfois maladroitement mais toujours génialement une « rhétorique profonde » (Baudelaire) refaisant et l’amour et la poésie à chaque pas, à chaque page, à chaque ligne ou vers, à chaque syllabe, dans et par une « prosodie personnelle14 ».
Le
trajet critique ne peut pas avoir ici pour visée une maîtrise du
geste d'Eluard, un bilan de ce corps-langage construit par Capitale
de la douleur, mais il veut simplement accompagner quelques-uns
de ses pas dans un livre en trois mouvements comme une danse de la
voix qui s'essaie en même temps qu'elle se trouve au plus juste
d'une relation, c'est-à-dire d'une historicité et d'un rapport sans
cesse rejoués l'une par l'autre jusque dans les lectures
d'aujourd'hui.
Une facilité critique : le poème-relation contre les facilités de la poésie et de l'amour
On pourrait avancer également que la facilité d’Eluard est d’abord, quoiqu’elle en dise, une critique qui remet sur le chantier et l’amour et la poésie. Mais cette critique n’est pas en guerre contre qui que ce soit. Le ton de cette voix déplace considérablement l’enjeu de la critique ouverte par ceux qui, avant Eluard, se sont essayé à « une relève du poétique18 ». Eluard en écrit la « Suite » mais, contrairement à beaucoup qui « revendique[nt] le "moderne" avant tout comme un signe ostentatoire, une manière de signer la rupture et de lui conférer, du même coup, toute sa dimension épocale de renversement irréversible » et donc ferment la porte et de l’amour et de la poésie à tout un chacun, Eluard ne cessera de rappeler la célèbre formule ducasienne : « La poésie doit être faite par tous. Non par un ». Dans L'évidence poétique publié en 1937 (titre déjà utilisé par Eluard en 1934 - voir la note dans OC1, 1485), il demande d'ouvrir les portes :
Toutes
les tours d’ivoire seront démolies, toutes les paroles seront
sacrées et l’homme, s’étant enfin accordé à la réalité, qui
est sienne, n’aura plus qu’à fermer les yeux pour que s’ouvrent
les portes du merveilleux (OC1, 514).
La
visée anthropologique et relationnelle d’Eluard à la suite de
Lautréamont est une politique du langage que l’on peut dire
démocratique. Pour le moins, la porte est ouverte et aucun ticket
d’entrée n’est exigé de quiconque en poésie comme en amour.
Par quoi, la facilité n’est pas forcément celle que l’on
croit : la fabrique du poème exige la porte ouverte pour
travailler sa facilité.
Le
sixième moment du livre, « La porte ouverte » (CD, 19),
peut se lire comme un énoncé métapoétique. Toutefois, aucun poème
– pour reprendre la dénomination habituelle, sachant que le poème
c'est le livre – ne peut s’exclure d’une tension réflexive
constitutive du poème-relation et celui-ci comme les autres ne
dissocie pas son activité poétique et amoureuse d’une réflexivité
où poésie et amour se voient reconsidérés. Par ailleurs, chacun
des moments du livre est pris dans une dynamique qui ne peut être
que celle d’un va-et-vient comportant autant de reprises que de
moments : chacun se refaisant au suivant ou chacun opérant une
réfection de tous les précédents – ce serait le sens de
« Suite » que nous venons de lire et qui réitère, ne
serait-ce qu'avec son quatrain, l’anaphore organisatrice (« Dans
un coin ») forcément picturale du moment inaugural et
dédicataire du livre19,
et ainsi la modifie, puisque les quatre coins ne peuvent avoir
délimité un « Max Ernst », tableau ou ami peintre, que
le lecteur retrouvera dans les
Nouveaux poèmes
(CD, 116), lequel défait toute « ordonnance », voire
tout aveuglement (« il n'y a plus d'aveugles »).
La « Porte ouverte » est donc une tentative étonnante et forte : les trois syllabes du titre multipliées par deux au premier vers (« La vie est bien aimable ») et encore par deux au second (« Venez à moi, si je vais à vous c’est un jeu, ») : 6 puis 12 syllabes, avec un système accentuel du type 2-4 / 4-5-3. Cette quantité syllabique augmente encore au dernier vers (« Les anges des bouquets dont les fleurs changent de couleur. » ), sans toutefois suivre le multiplicateur double : 14 syllabes avec une organisation accentuelle du type 6 (2-4)-3-5, qui reprend le schéma accentuel premier (2-4) et inverse les deux derniers groupes du second (3-5 au lieu de 5-3). Si l’ouverture est bien réelle par l’agrandissement numérique, elle l’est davantage encore par son « jeu » prosodique. L’allitération en /v/ lancée par le titre associe l’ouverture (« ouverte »), « la vie » et le mouvement (aller), lui-même décliné par un va-et-vient du je-tu de la relation : « Venez à moi, si je vais à vous ». Elle est redoublée par l’allitération en /j/ de « je » à « jeu » puis d’« anges » à « changent ». Bref, la métamorphose encore active de la relation défait les termes, voire les refait ; à moins que l’on ne considère cette sortie, « la porte ouverte », comme une réciprocité retorse puisque, même prosodiquement, le tuilage /v/-/j/ est continué en /r/ (« fleurs » et « couleurs » qui font recommencer par le début, par le titre et ses deux /r/. La réciprocité n’est pas celle que l’on attendait d’ailleurs puisque l’interpellation concerne des « anges » dont l’essence est d’autant plus incertaine qu’ils appartiennent à « des bouquets dont les fleurs changent de couleurs ». Sans référer à quelque byzantinisme – quoique ! –, on ne peut que constater une accumulation, rapide et légère à la fois, de métamorphoses. « La porte ouverte » invite pas à sortir mais à entrer : « venez à moi ». En effet, une sortie n’aurait été que « jeu », rhétorique attendue et non profonde. La rhétorique profonde du poème-relation ne cesse de s'interroger en portant à hauteur d'une énigme sans cesse relancée la relation elle-même, l'histoire d'un lien et le lien d'une histoire qui n'en finit pas de se jouer dans et par une facilité critique et une critique des facilités. Francis Ponge aurait parlé de « désaffublement20 ». Eluard en écrit la fable, non sans humour :
Lesquels ?
Pendant
qu'il est facile
Et
pendant qu'elle est gaie
Allons
nous habiller et nous déshabiller (CD, 40)
La
facilité, si elle est « altière », est d'abord
critique : non qu'elle regarde de haut la poésie et l'amour
mais parce qu'elle invente sa « liberté d'allure »,
comme dit Mandiargues (CD, 6), et sa nudité même habillée :
un poème-relation comme prosodie de l'infini. Mais cela ne va pas
sans passer par l'énumération du fini, par la traversée
expérientielle de la poésie et de l'amour. Comme l'écrit Michel
Murat qui ne souhaite pas conférer « aux variations du
vers un enjeu métapoétique » : « ni soumission à,
ni subversion de la "vieillerie",
ces écarts enregistrent plutôt des variations thymiques, le
soubresauts circonstanciels de la relation amoureuse qui est
ici la poésie21 ».
C'est ce « ici »
qu'il nous faut mieux situer non pour vérifier un enregistrement
mais pour accompagner une invention.
L'énumération du fini par la prosodie de l'infini : l'invention du poème-relation
Le
mouvement de la « porte ouverte » est alors à reprendre
dans le moment précédant « Lesquels ? » ;
moment qui indique, dès son titre « Plus près de nous »
(CD,18), ce penchant certain de la voix pour un dépassement de tout
« drapeau », et donc de toute identité affichée ou de
toute proclamation assurée. Ce mouvement s'intensifie par les
reprises : « Courir et courir délivrance / Et […]
/ Délivrance […] ». Ces denrières ne sont pas de simples
répétitions puisque les positions syntagmatiques bougent la valeur
de l'élément répété dans une sémantique sérielle : il y a
congruence entre les répétitions des titres22
et les repétitions des mots ou syntagmes puisque les positions sont
entièrement rejouées dans un mouvement qui, des petites aux grandes
unités, défait toute stase possible. Eluard écrit cette exigence :
« Parlez-moi des formes, j'ai grand besoin d'inquiétude »
(CD, 55). Par ailleurs, ces reprises inquiètes augmentent le
va-et-vient du poème-relation, jusqu’à « Courir si vite que
le fil casse » (CD, 18). Aucune maîtrise totalisante (« Et
tout trouver tout ramasser », ibid.) ne peut assouvir la
voix. Hors les circonstances, le poème ne fait pas l'amour la
poésie. Et donc hors la relation comme rime généralisée23
ou résonance générale – ce qui expliquerait pourquoi Eluard
évite la rime tout en se faisant l'écho des plus anciennes
traditions. On connaît sa fameuse déclaration : « Il
faut parler une pensée musicale qui n'ait que faire des tambours,
des violons, des rythmes et dses rimes du terrible concert pour
oreilles d'ânes » (OC1, 977). Reste qu'il continue, avec cette
résonance générale, la leçon Baudelaire ainsi qu'il l'a
formulée : « […]
l'écho, l'égal à peine de ce qu'il aime. […] tout se fond dans
sa voix, cet écho est dévorant » (OC1, 995). Aussi,
Eluard n'hésite-t-il pas à s'en prendre, non sans humour critique,
aux « manie[s] » (CD, 15) de la maîtrise qui
substantialisent l'expérience : « Où nous croyons-nous
donc ? » (CD, 15). Cette formule est reprise par Paulhan,
le pourfendeur de « la Terreur dans les Lettres24 »,
dans un courrier enthousiaste adressé à l'auteur en 1922 à la
parution de Répétitions (OC1, 1343). Eluard se situe, de ce
point de vue, dans la tradition d'un Péguy pestant contre le
positivisme et l'historicisme de Lanson ou de Taine25.
Chez
Eluard, le sujet de la connaissance n'est pas celui de la distance ou
du surplomb, c'est celui que Jean-Pierre Richard thématise comme
« enchaînement circulaire, imaginé à travers des réalités
heureuses telles que le collier, le bracelet, la bague
ou la ronde », en ajoutant aussitôt que « ce
mouvement reste d'ailleurs soumis au thème de mutualité26 ».
Pas meilleur exemple de cette association que le pénultième moment
du livre : « La courbe de tes yeux fait le tour de mon
cœur, Un rond de danse et de douceur, Auréole du temps, berceau
nocturne et sûr, Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu C'est
que tes yeux ne m'ont pas toujours vu. » (CD, 139). D'une part,
la multiplication des « tours » ou figures de la
circularité ouvre à une connaissance partagée (« courbe »
en lieu et place de « cerne » ; « rond »
pour « pas » ; « auréole » puis
« berceau ») et, d'autre part, la spécificité de cette
connaissance, qui fait le tour de quelqu'un, s'affirme bien comme
mouvement amoureux « de danse et de douceur » associant
la vie et la vue, l'expérience commune et le regard partagé que la
rime logique et prosodique (« vécu/vu ») des deux
derniers vers construit. Mais cette « tourne » dansée
ouvre un inventaire que le poème arrête pour mieux en poser la
caractère infini. Les substantifs de la liste ouverte engage une
sémantique du transport, de la métamorphose et du passage de
naissances ininterrompues au point de ne jamais pouvoir arrêter une
réciprocité infinie entre le macrocosme et le microcosme, entre
« le monde entier » et « tes yeux purs ».
Alors, le poème-relation s'affirme pleinement :
Comme
le jour dépend de l'innocence
Le
monde entier dépend de tes yeux purs
Et
tout mon sang coule dans leurs regards. (CD, 139)
Le
continu prosodique de « l'innocence » au « sang »
construit, par les rapports de dépendance, la tenue d'une
anthropologie de la connaissance qui engage le continu du cosmos et
de l'homme comme rapports augmentant leur teneur relationnelle dans
et par le langage. La comparaison entre « le jour » et
« le monde entier », ici renforcée par le sémantisme de
la dépendance interne à chacun des termes de la comparaison opère
un double déplacement puisque l'espace-temps cosmique non seulement
fait place à la relation je-tu (« mon sang »-« tes
yeux ») mais en découle, en « dépend ». On
retrouverait là le point de vue anthropologique qu'un Benveniste
attribue au langage quant aux catégories du temps et de l'espace27.
Sans compter l'inclusion d'une érotique relationnelle qui défait
les conceptions traditionnelles du sujet de la connaissance et du
sujet amoureux : un corps-langage amoureux meut « le monde
entier », invente le « jour ». Un « jour »,
comme « je-ici-maintenant » au sens de Benveniste28,
qui inclut un « monde entier » dans « tes
yeux », tel serait le poème inventant « l'amour la
poésie ».
Le
quatrième moment du livre, « L'invention » (CD, 16-17)
se partage en deux séquences de vers puis deux de proses : les
deux dernières qui sont les seuls passages en prose dans
Répétitions, indiquent deux orientations poétiques
décisives. Les vingt-trois arts, de « l'art d'aimer » à
« l'art de torturer » en passant par « l'art
poétique », listent non sans humour des arts de faire, au sens
de Michel de Certeau29,
que d'aucuns verraient malencontreusement mis au même niveau :
« l'art de penser » et « l'art de fumer »
sont effectivement, avec « l'art incohérent » par
exemple, mis en demeure de faire bon ménage... du moins de se
soumettre au coninu critique de ce qui invente la vie, le langage, le
poème. Une telle énumération montrerait à l'etnvi que toute
description, dans ses attendus catégoriels comme dans sa prétention
à une totalité, doit faire place à l'invention de la relation,
c'est-à-dire à un sujet inconnu qui s'invente dans le moment qu'il
se crée. On n'oublie pas que le titre, Capitale de la douleur a
été ajouté sur les épreuves du livre par Eluard pour remplacer,
au dernier moment donc, L'art d'être malheureux (OC1, XXXVI).
Ce qui rattache ce livre en trois mouvements autant à un art de
faire qu'à un art poétique, du moins en construit le continu
éthique, politique et poétique, et invente « l'amour la
poésie ». Si le titre a changé, on peut apercevoir la force
prosodique et sémantique du titre choisi in fine, ne
serait-ce qu'en observant l'allitération en /l/ que renforcent les
deux autres dentales /d/ après que les deux premières syllabes ont
posé la voyelle du prénom de la dédicataire des Nouveaux
poèmes, « G[ala] »
(CD, 89), qui commence également par une vélaire pour s'achever par
la dentale latérale. Mais la rédaction du livre s'est bien
effectuée avec cet « art » de faire sans savoir faire
puisque, pas plus que le bonheur, le malheur ne s'apprend mais
s'invente. La dernière séquence de « L'invention »
manifeste par l'aphorisme ce constat d'expérience : « Je
n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime »
(CD, 17) où l'art n'est pas celui qu'on pourrait décrire et donc
nommer, répertorier, didactiser et donc répéter mais justement
celui qui invente son invention. Le poème-relation, quand dans
« Raison de plus » (CD, 39) Eluard semble se souvenir
d'une époque où il paraissait « sûr du lendemain »,
décline le « rire » non pour le répéter, le retenir,
voire même l'identifier mais pour le réciter « Autour de la
bouche » : « C'est un plaisir, c'est un désir,
c'est un tourment, C'est une folle, c'est la fleur, une créole qui
passe ». Le récitatif y tient le continu prosodique en rimant
par les deux bouts (« C'est » - « passe »)
et en enchaînant un consonantisme où le « RiRe »
(« plaisiR », « désiR »)
dissémine ses résonances (« folle »,
« fleuR », « cRéole »). Ce
récitatif fait vite dérailler le trimètre (4-4-4) vers une
invention déhanchée (4-3-4-2) qui confirme que « Son rire est
toujours différent » (2-3-3). La reprise, « La nudité,
jamais la même », est ainsi réitérée bien qu'apparemment
assagie en 4-4 mais sémantiquement équivalente par le jeu des
couplages inversés (« toujours »/ « jamais » ;
« différent » / « la même »). Alors le rire
couplé à la nudité initie un corps-langage que Richard a fort bien
évoqué : « Etonnante puissance de fécondation métaphorique
qui engendre, à partir du seul rire, les figures parentes de la
gerbe, de l'acuité tranchante, de la pulvérulence, du délire
irisé, du tournoiement voluptueux ». Richard cite à l'appui
d'une telle « fécondation » le passage qui conclut la
prose « L'icône aérée qui se conjugue » (CD, 109-110),
passage certes dysphorique mais qui, en creux, dessine un
corps-langage libre :
[...]
et désormais vous pouvez rire effrontément, rire, bouquet d'épées,
rire, vent de poussière, rire comme arcs-en-ciel tombés de leur
balance, comme un poisson géant qui tourne sur lui-même. La liberté
a quitté votre corps. (CD, 110)
La
liste chez Eluard n'est donc pas descriptive, au sens d'une maîtrise
énumérative ; elle est une activité
transformatrice constituant l'expérience poétique et amoureuse
en inventant du sujet-relation par et dans une
transsubjectivation. Apollinaire avait déjà montré la force d'une
telle activité en poème avec « Il y a » (Calligrammes.
Poèmes de la paix et de la guerre. 1913-1916) 30.
Eluard porte le il y a « dans la danse » (CD, 59).
Par exemple, cette expérience se joue sur une « petite table
enfantine », « dorée des jours de fête », « trop
basse ou trop haute » : ses conditions n'ont pas grand
chose à voir avec celles de l'expérience scientifique mais tout à
voir avec la vie et ses raisons, voire ses rêves propres. Ainsi,
dans le moment suivant du livre, « Le jeu de construction »
(CD, 60), à la question « Pourquoi pleurer », le poème
décline une courte liste de fleurs concrétisant des affects
précis : « la fleur séchée » ; « les
lilas » ; « la rose d'ambre », « la
pensée tendre », en se demandant alors « Pourquoi
chercher la fleur cachée Si l'on n'a pas de récompense ? »,
et en répondant in fine « - Mais pour ça, ça et ça ».
A peu près contemporain de l'étude de Freud, Le Moi et le ça
(1923), cette triplication du « ça » emprunte plutôt
aux discours ordinaires, enfantin ou autre, qui savent tenir quand
ils ne savent pas répondre. Eluard, comme bon nombre de
surréalistes, savait l'importance des comptines et autres
formulettes : la force du langage comme force d'un dire qui
l'emporte fait vivre, fait tenir. Toutefois, on ne peut s'empêcher
de lire ce « jeu de construction » en écho aux trois
instances de la seconde topique freudienne. Avec Eluard, la
répétition ne permet pas de dissocier les instances ; elle
demande de les tenir dans un continu prosodique. Nulle autre topique
que ce continu du poème, à savoir selon la belle expression de
Gérard Manley Hopkins : « le mouvement de la parole dans
l'écriture31 »
comme transsubjectivation, passage de sujet.
« Au
hasard » (CD, 119) ferait l'allégorie de cette force comme
mode de diction et de relation qui s'invente dans le poème. Aucune
illusion qui permettrait de confondre « épopée » et
héroïsation : « bien finie maintenant » puisque
« Tous les actes sont prisonniers / D'esclaves à barbe
d'ancêtre ». Le sujet de la nouvelle relation n'a pas à se
faire un destin mais à s'en tenir à « son soleil » :
« A l'éternité du hasard ». Cette tautologie n'est pas
un tour de passe-passe mais le récitatif du poème, le travail de sa
voix : l'épopée d'une voix. Cette voix qu'explore en
l'inventant la prose qui suit (CD, 120-121) jusqu'à réitérer le
terme « délivrance » mais en le pluralisant et donc en
signalant que la voix, avec le poème, ne cesse de naître
s'instituant paradoxalement dans et par une pluralité de
naissances : « de délivrances – dis-je – de
délivrances comme au son des clairons ordonnant au cerveau de ne
plus se laisser distraire par les masques successifs et féminins
d'un hasard d'occasion ». Ce long récitatif énumère tout ce
qui enserre « [l]'absolue
nécessité, l'absolu désir », non pour en faire le tour mais
pour ne cesser de « revenir ». C'est ainsi que la prose
qui succède à la précédente conclut : « Le cœur de
l'homme ne rougira plus, il ne se perdra plus, je reviens de
moi-même, de toute éternité ». Le poème Capitale de la
douleur revient en effet de toute identité fixe non pour se
perdre mais pour mieux se trouver dans et par une transsubjectivation
toujours à l'inaccompli où vont s'associer dans ses reprises
infinies « la bénédiction » et « la malédiction »
(CD, 66-67). Ses renversements ne cessent alors de traverser la
rhétorique pour inventer l'infini du poème comme dans cette reprise
du début à la fin, qu'offre exemplairement la prose « Dans le
cylindre des tribulations » :
Que le monde m'entraîne et
j'aurai des souvenirs.
[…]
Que les souvenirs m'entraînent
et j'aurai des yeux ronds comme le monde. (CD, 64)
Le poème-relation ou la transsubjectivation inaccomplie d'un donner à voir
On
pourrait objecter à ce que je tente de montrer avec le livre
d'Eluard que ses poèmes disent tout le contraire puisqu'il semble
bien qu'il répète une rupture. En effet, quand les Nouveaux
poèmes commencent par affirmer « Ne plus partager »
en précisant très explicitement que « Tous les ponts sont
coupés, le ciel n'y passera plus Je peux bien n'y plus voir »
(CD, 89), la relation semble effectivement interrompue de tous points
de vue : amoureusement et poétiquement, le poème dit qu'il
entre en déréliction dans la non-relation. Et les deux moments qui
suivent dans ce troisième mouvement du livre semblent confirmer
qu'il n'y a plus qu'« Absences » : « La plate
volupté et le pauvre mystère Que de n'être pas vu » (CD,
91). Un tel constat vient confirmer une telle déréliction : la
relation avait tout engagé sur le partage d'un (se) voir alors que
dorénavant « Mes yeux sont inutiles » (CD, 89) et que
« la clarté livre sa dernière bataille » (CD, 92).
Toutefois, l'agonistique ne peut se contenter d'un futur, « Quelles
seront alors les armes de mon triomphe ? » (CD, 92), elle
va se métamorphoser en miracle amoureux : « Une fenêtre
de feuillage S'ouvre soudain dans son visage » (CD, 92-93). Il
ne s'agit pas de passer de l'absence à la présence ou du désespoir
à l'espoir, mais de sentir que la relation, au pire de sa
condition, ne cesse de (se) continuer, d'écouter que le poème ne
cesse de (se) faire relation. D'une part, le motif de la rencontre
est ininterrompu sémantiquement et prosodiquement : « Dans
mes grands yeux ouverts le soleil fait les joints, O
jardin de mes yeux ! » (CD, 92) D'autre
part, les intermittences poursuivent le retournement en chiasme des
valeurs :
Une femme est plus belle que le
monde où je vis
Et je ferme les yeux.
Je sors au bras des ombres,
Je suis au bas des ombres
Et des ombres m'attendent. (CD,
93)
Dominique
Rabaté, à propos des « poèmes de deuil chez Deguy, Eluard,
Roubaud », ose un néologisme correspondant à « l'expérience
qui est ici en jeu » : « celle de l'esseulement, du
dépareillage affectif, du "désajointage"
personnel32 ».
Capitale de la douleur n'est
pas un thrène comme l'est Le Temps déborde
(1947) que Rabaté commente dans son essai ; toutefois, le
second mouvement du livre titre comme pour un thrène : « Mourir
de ne pas mourir ». On sait qu'Eluard emprunte à Thérèse
d'Avila. Si Eluard l'affirme, « je suis bien aussi vivant que mon
amour et que mon désespoir » (CD, 72), le « désajointage »
est certain, ne serait-ce qu'avec le changement de ton, par exemple,
au cœur des onze moments de la séquence « Les petits justes »
qui vient fermer ce second mouvement. Même si, dès le cinquième
moment, « Elle s'effondra » prélude à la rupture, à
partir du huitième moment (« Elle a laissé L'empreinte des
choses brisées », CD, 84), le futur qui dénie une relation au
présent (« Quel visage viendra, coquillage sonore, Annoncer
que la nuit de l'amour touche au jour », CD, 85) mais aussi
l'incompatible vécu au cœur même du corps-langage amoureux
(« Bouche ouverte liée à la bouche fermée » où la
diérèse sépare) attestent d'une relation défaite où les
métaphores du malheur et des pleurs sont construites à partir du
bonheur et de la transparence, du septième ciel et des yeux
transparents : « Sur ce ciel délabré, sur ces vitres d'eau
douce » (CD, 85). Voici donc « la douleur » que
situe précisément le dixième moment (CD, 86), avec son rejet :
Inconnue,
elle était ma forme préférée,
Celle
qui m'enlevait le souci d'être un homme
Et je
la vois et je la perds et je subis
Ma
douleur, comme un peu de soleil dans l'eau froide.
La
« forme préférée », « inconnue », est
dorénavant connue, qualifiée : « un peu de soleil dans
l'eau froide ». Ce peu déborde au point de se voir attribué,
par un « Etc... », une valeur d'inaccompli à la fin de
ce dernier moment de « Mourir de ne pas mourir ». Dun
passé itératif à un présent sans lendemain, de « l'inconnue
préférée » à la trop connue « douleur », le
« désajointage » est multiple. Il est en même temps
continu par le fait même qu'il n'essentialise, pas plus que
l'ajointage, les termes de la relation. La voix est l'activité
continue de passages que la comparaison réitère, alors même
que contre-rejet et rejet répètent le « désajointage » comme
dans ce tercet final (CD, 134) :
Mais
tu n'as pas toujours été avec moi. Ma mémoire
Est
encore obscurcie de t'avoir vu venir
Et
partir. Le temps se sert de mots comme l'amour.
« Le
temps », « l'amour » qui sont des essences se
servent effectivement de mots : rhétorique des surfaces que la
rhétorique profonde défait pour lui préférer « les bruits
du monde » où « j'entends vibrer ta voix » (CD,
136) : « Toute ma vie t'écoute » constitue alors
une voix qui fait une vie entre les superlatifs prosodiques en /t/
(« Toute … t'écoute »), ce motif de l'altérité du
poème-relation, de son je-tu qu'Eluard ne cesse d'agrandir par
l'utopie du poème – ici portée par la supposition : « La
poésie ne se fera chant et sang qu'à partir du moment où elle sera
réciproque. Cette réciprocité est entièrement fonction de
l'égalité dans le bonheur entre les hommes. Et l'égalité dans le
bonheur porterait celui-ci à une hauteur dont nous ne pouvons encore
avoir que de faibles notions » (OC1, 990).
Le
désamour ne pourrait donc effacer l'amour comme activité dans et
par le langage exactement comme la liberté des allures de la poésie,
d'un dadaisme à fleur de vers à un surréalisme à fleur de prose,
ne pourrait effacer le continu du poème comme transsubjectivation
inaccomplie, toujours en cours. Le cri de douleur dans Capitale
de la douleur est aussi un cri
de bonheur – ne faudrait-il pas plutôt dire jouissance ? – :
il est, avant toute mise en perspective dualiste, une prosodie
bégayante et donc jubilatoire jusque dans la déréliction même :
« Celle de toujours,
toute » (CD,
140). Poétique de l'oralité qui après Marceline Desbordes-Valmore
n'est pas sans évoquer la contemporaine russe d'Eluard : Marina
Tsvetaieva (1892-1941) qui est, comme Eluard, « une figure de
la poésie où la rime et la vie se sont rejointes en une même
matière de langage33 ».
Si « La terre est bleue comme une orange », c'est
« Jamais une erreur les mots ne mentent pas » (CD, 153) !
Je me suis permis de déborder Capitale de la douleur en
faisant cette dernière incursion, pourtant éculée, dans L'amour
la poésie, mais Capitale
de la douleur ne s'achève
autrement qu'à recommencer par l'incipit de L'amour la
poésie : « A haute
voix » (CD, 147) !
1Paul
Eluard, Œuvres
complètes
tome 2, préface et chronologie de Lucien Scheler, textes établis
et annotés par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la pléiade », 1968, p. 181 – il
s'agit de la seconde section numérotée de « La dernière
lettre » dans Voir
(1948).
Dorénavant,
j’indique OC1 pour le tome 1 (parfois OC2 pour le tome 2) suivi de
la page. Sauf indication contraire, mes renseignements empruntent à
l'appareil critique de cette édition.
2Sur
le site Gallimard
(http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Poesie-Gallimard,
consulté le 28 août 2013), on relève que cet ouvrage fait partie
des cinq les plus consultés de la collection aux côtés des Mains
libres
du même Eluard : ce qui montre à l’envi que le premier
ouvrage de la collection a assuré à Eluard une position de premier
plan, au moins parmi les 491 titres de la collection qui se sont
vendus à 14 millions d’exemplaires ! Certes la meilleure
vente revient à Alcools
d’Apollinaire,
mais Capitale
de la douleur suivi
de L’amour
la poésie
est dans les cinq meilleures ventes avec Apollinaire, déjà cité,
Baudelaire, Rimbaud et Ponge.
3Ce
poème ouvre Poésie et vérité 1942
(Editions de la Main à plume, 1942). Sa diffusion fut considérable
avant et après « la soirée de gala organisée au
Théâtre-Français le 27 octobre 1944, sous la présidence du
général de Gaulle, par François Mauriac. Liberté,
lu par Jean Yonnel, "de
l'un de nos plus grands poètes vivants"... » (OC1,
1609).
4Paul
Eluard, Capitale
de la douleur
(1926) suivi de L’amour
la poésie (1929)
avec une préface d'André Pieyre de Mandiargues, Paris, Gallimard,
« Poésie » (1966), 2000, p. 7. Dorénavant, j’indique
CD suivi de la page. Le titre de ce travail emprunte à la préface
de Mandiargues.
5Je
reprends cette notion à Søren Kierkegaard : « Reprise
et ressouvenir sont le même mouvement, mais en sens opposé ; car
ce dont on se ressouvient, a été ; c’est une reprise en arrière
; la reprise proprement dite, au contraire, est un ressouvenir en
avant » dans Ou bien... ou bien. La Reprise. Stades sur le
chemin de la vie. La maladie à la mort, Paris, « Bouquins »,
Robert Laffont, 1993, p. 694.
6Henri
Scepi, Théorie
et poétique de la prose d’Aloysius Bertrand à Leon-Paul Fargue,
Paris, Honoré Champion, « Unichamps-Essentiel », 2012,
p.
9.
7Ces
deux définitions de la modernité sont données par Henri
Meschonnic dans Modernité modernité
(1988, Paris, Gallimard, « Folio/essais », 1993),
respectivement p. 303 et p. 9.
8
Jean-Pierre Richard, « Paul
Eluard » (1963) dans Onze Etudes sur la poésie moderne
(1964), Paris, Le Seuil, « Points Essais », 1981, p.
138.
9Henri
Meschonnic, « Un langage-solitude Les formes-sens de La vie
immédiate d'Eluard »
(1968), repris dans Pour la poétique III Une parole
écriture, Paris, Gallimard,
« Le Chemin », 1973, p. 181-274. La citation vient de la
notice introduisant cette étude, p. 180. La dernière section de
cette longue étude a été publiée dans la revue Langue
française n° 7, en septembre
1970, sous le titre : « Prosodie et langage du couple
dans La vie immédiate d'Eluard ».
10Jean-Pierre
Richard, Onze
Etudes sur la poésie moderne,
op.
cit.,
p.
133.
11Ibid.,
p. 141.
12Concernant
cette notion, je me permets de renvoyer à « La
voix et la relation en littérature de jeunesse avec « Le
Raconteur » (Der
Erzähler,
1936) de Walter Benjamin », Strenae
n° 5, revue en ligne (http://strenae.revues.org/).
13André
Breton, Point du Jour, Paris, Gallimard, 1934, p. 69. Cité
dans OC1, 1371.
14Guillaume
Apollinaire écrit dans « Jean Royère » (1908) :
« Et, si l'on cherche dans l'œuvre de chaque poète une
personnalité, on ne s'étonnera pas de rencontrer des prosodies
personnelles. » (OEuvres en prose, t. 2,
Paris, Gallimard, « La pléiade », 1991, p. 598-599.
15Je
déroge à l'habitude scolaire d'appeler « poème » le
moment d'un mouvement du livre pour mieux accompagner
l'activité poétique de ce dernier : ce qui oblige à lire le
livre comme poème, invention de la poésie, et tel moment du livre
comme passage du poème, invention continuée.
16Le
TLFI donne une citation de Léon Daudet datant de l’année de
Capitale
de la douleur :
« C'est [le manque d'un dessein suivi] ce qui donne au
romantisme son caractère "en
l'air",
d'inachèvement et de transports (...) pour rien.
/
L. DAUDET, Études
et milieux littéraires, 1927,
p. 7 »
(http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?79;s=3593026245;r=5;nat=;sol=0;
consulté le 10 août 2013).
17« Quand
donc appellerez-vous Prétéritions, Paul Eluard, les
Répétitions ? » (Rrose Selavy, 134
dans Robert Desnos, Oeuvres,
Paris, Gallimard, « Quarto », 1999, p. 511).
18Henri
Scepi, Théorie
et poétique de la prose,
op.cit.,
p. 124. Je renvoie aux longs développements de Scepi qui permettent
de situer clairement ce qu’il appelle « la prose critique »
et les « réélaborations » des poètes du XIXe
et du tournant du siècle.
19Il
faut rappeler que le premier mouvement de Capitale de la douleur,
« Répétitions », « est le résultat d’une
parfaite collaboration entre Paul Eluard et Max Ernst » qui se
sont connus un an avant sa publication (voir notice dans OC1,
1342-1343).
20Voir,
par exemple, ce qu'écrit Francis Ponge dans Pour un Malherbe
(Paris, Gallimard, 1965, p. 210) : « Voilà qui
est important à creuser : comment, désaffublant la poésie
(de ses falbalas, rubans et fanfreluches Renaissance), Malherbe, par
un retour résolument prosaïque à la pure et simple Parole, en
vient à réintroduire la grandeur (lyrique) ».
21Michel
Murat, « Une métrique facile ? » dans Colette
Guedj (dir.), Eluard a cent ans, Paris,
L'Harmattan, « Les mots la vie, revue sur le surréalisme n°
10 », 1998, p. 107.
22Je
relève, pour le moins, les titres des pages 13 et 116 ; 14 et
20 ; 24 et 30 ; 32 et 33 ; 91 et 92 ; 102 et 103
(CD).
23Michel
Murat préfère « réserver le mot à l'homophonie de fin de
vers », dans « Une métrique facile ? »,
contribution citée, p. 114. Il note que, chez Eluard, « cet
abandon de la rime est compensé par un tressage complexe d'échos
et de reprises qui partent du vers et souvent s'étendent en réseau
dans tout le poème » (p ; 113-114). Je garderai la
notion en m'appuyant sur celle que Charles Péguy a développé dans
Clio : « Sonorité
générale. – […] quel que soit le
gouvernement de la force et de la nature du rythme, ce commandement
et ce gouvernement ne sont eux-mêmes que des éléments, des
composantes élémentaires, évidemment importantes, peut-être
capitales, mais nullement épuisantes, et il s’en faut, de ce
qu’on peut nommer la sonorité générale de toute œuvre, non
seulement de tout poème et de toute prose, de tout texte, mais
aussi bien de tout œuvre plastique, de tout œuvre contée,
dessinée, peinte, de tout œuvre statuaire, enfin généralement de
tout œuvre. Ce n’est pas la rime seulement et le commandement de
la rime, ce n’est pas le rythme seulement et le gouvernement du
rythme, c’est tout qui concourt à l’opération de l’œuvre,
toute syllabe, tout atome, et le mouvement surtout, et une sorte de
sonorité générale, et ce qu’il y a entre les syllabes, et ce
qu’il y a entre les atomes, et ce qu’il y a dans le mouvement
même. C’est cette sonorité générale qui fait la réussite
profonde d’une œuvre. Non point cette réussite d’un détail
qui fait lever l’œil, qui s’accroche à quelque détail
victorieux, à quelque acrotère du temple de quelque Victoire. Mais
cette réussite profonde que l’on ne sent même pas »
(Charles Péguy, Oeuvres en prose complètes, t. 3, Paris,
Gallimard, « La pléiade », 1992, p. 1048).
24Jean
Paulhan, Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les lettres,
Paris, Gallimard, 1936.
25Je
pense surtout à Charles Péguy, Clio. Dialogue de l'Histoire et
de l'âme païenne, Paris,
Gallimard, 1931.
26Jean-Pierre
Richard, Onze
Etudes sur la poésie moderne,
op. cit.,
p. 150-151.
27Emile
Benveniste, « Le langage et l'expérience humaine »
(1965) dans Problèmes de linguistique générale, t.
2, Paris, Gallimard, « Tel », 1974, p. 66-78.
28Ibid.,
p. 78.
29Michel
de Certeau, L'Invention du quotidien. 1. Arts de faire
(1980), Paris, Gallimard, « Folio / Essais », 1990.
30Pour
une lecture de ce poème, je me permets de renvoyer à « Les
sillons de l'amour et de la guerre » dans L'Amour en
fragments. Poétique de la relation critique,
Arras, Artois Presses Université, 2005, p. 268-275.
31Cité
par Henri Meschonnic dans Critique du rythme.
Anthropologie historique du langage
(1982), Lagrasse, Verdier, « Poche », 2009, p. 83.
32Dominique
Rabaté, Gestes lyriques,
Paris, José Corti, 2013, p. 189.
33Henri
Meschonnic, La Rime et la vie
(989), Paris, Gallimard, « Folio essais », 2006, p. 270.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.