dimanche 13 décembre 2009

L'Amour en fragments


Serge Martin, L’Amour en fragments. Poétique de la relation critique, Artois Presses Université, coll. « Manières de critiquer », 2006, 370 p.


Notes sur cet ouvrage:

Henri Meschonnic dans Esprit, n° 10, octobre 2005, p. 184-186.

Serge Martin fonde la relation comme un concept critique et un concept éthique, inséparablement. En quoi il fait de la pensée du poème une anthropologie, une invention du sujet qui implique une transformation de la pensée commune du langage.

C’est penser l’interaction contre le dualisme régnant : « il faut toujours recommencer à démythologiser la Raison » (p.10). L’amour y joue le rôle majeur. À travers la critique et la crise de ses expressions, et du « sentiment amoureux » lui-même, selon la poésie de « ces cinquante dernières années » (p.13). Ce qu’on appelle « l’époque », prise dans sa pensée du langage, « avec ce vieux couple, fond et forme, et avec ce vieux beau, le sujet » (p.13). Ce ratage du continu.

Repenser l’amour en repensant le langage, et réciproquement. Se dégager du dualisme en série qui oppose individu et société comme il oppose identité et altérité. Et ainsi rapprendre à lire, lire ce que fait un poème, quand il fait l’amour.

A commencer par la critique du « mythe de la mort de la poésie » (p.18), accompagné du mallarméisme des années soixante. Allez y savourer le détail. C’est un jeu. Vous reconnaîtrez de qui il s’agit. Les nostalgies de la poésie.

Du côté des linguistes défilent les dualismes, « la vieille opposition entre concept et affect » (p.29), langage et émotion. C’était le structuralisme. Serge Martin montre qu’on en sort en ne séparant plus les choses du langage et celles de la littérature. Ce qu’on appelait jadis l’écart. Repartir des poèmes pour penser le langage.

Ce livre contribue à mettre au passé, comme il apparaîtra inévitablement par la poétique, des « figures majeures » (p.36) du présent comme Ricœur et Habermas. De critique en critique, Serge Martin situe sa critique. Le problème, faire « indistinctement un sujet et une relation » (p.37). C’est le « pari » d’une « poétique de la relation » : faire « une théorie du sujet dans et par le poème du langage amoureux visant anthropologiquement tout le langage, le tout du langage puisque les opérateurs amoureux constitueraient les opérateurs les plus forts de la relation » (p.37).

C’est ce qui s’appelle penser Humboldt aujourd'hui : penser « le rapport avant les termes » (p.40). En travaillant à se dégager du structuralisme. Donc « vers de nouveaux rapports entre la théorie et la critique » (p.49). Contre « l’éclectisme contemporain » (p.49). C’est un livre de combat, parce que penser est un combat. Par exemple contre la compartimentation de ce qu’on appelle les disciplines universitaires (p.51). Sur la relation entre théorie et enseignement. L’étude de quelques articles de dictionnaire, pour le mot poétique, est édifiante.

Démêler les confusions intéressées, c’est un exercice que Serge Martin pratique voluptueusement. Dans le champ de la littérature on cultive les régionalismes, où le scientisme masque l’absence de pensée. Serge Martin cueille et décrit toutes ces déshistoricisations. La poétique lit les instrumentalismes. Mais aussi les philosophes, dans leur rapport à la poésie, une philosophie toute inscrite dans le dualisme du signe, où la phénoménologie s’exalte de son heideggérianisation.

L’origine y joue avec les mots, peu importe que l’étymologie soit vraie ou fausse : « é-motion » ou « dans émotion, pour un poète, il y a mot » (cité p.83). Ce que certains obstétriciens du langage appellent « l’approche génétique » (p.84), selon des abstractions qui font « du langage ordinaire un bavardage et de la poésie une sortie du langage » (p.89). Ce que montre la métaphore de l’horizon : elle « signe la sortie du langage » (p.90), cette essentialisation qui fait de la langue le sujet et qui, sans le savoir, en croyant célébrer la poésie, en est la non-pensée.

C’est un travail de « vigilance » (p.95). Sur « l’époque formaliste » (p.104) en poésie. Serge Martin montre, dans l’œuvre de Jean-Claude Renard, l’entreprise inverse de « réaccorder » (p.109). Puis chez Jean Tortel. Autant de rigueur sur les poètes que sur les linguistosophes, pour y lire comment ce qu’ils pensent du langage fait leur langage.

C’est son point de vue qui lui permet de reconnaître que « la lecture de Paul Eluard est un enjeu » (p.116). C’est aussi ce qui lui fait privilégier trois livres de poèmes qui ont chacun été la résultante de la perte d’un être cher : le rapport du langage à la vie a eu besoin de la mort. Pour y chercher si le « thème récurrent dans la poésie de l’époque : la déploration » (p.121) ouvre sur un langage-relation ou non. À travers Quelque chose noir de Jacques Roubaud, Pas revoir de Valérie Rouzeau, A ce qui n’en finit pas, de Michel Deguy. De l’« énoncé rhétorique » à « l’énonciation transformatrice du poème » (p.138).

Avec Edouard Glissant et sa Poétique de la Relation, c’est tout le problème du conflit entre une poétique et une « esthétique de la relation » (p.145). Où l’oreille collée à « l’étant-au-monde » entend le langage Heidegger. Serge Martin a de l’oreille. On en apprend, à l’écouter. Ce qu’il donne à entendre, c’est que la mondialisation est celle du dualisme et de l’éclectisme. Du phrasage. De la rhétorique.

C’est pourquoi l’exercice de la rigueur repasse par l’histoire de la pensée du langage, à partir surtout des inédits de Saussure parus en 2002. Où se rencontrent linguistique et psychanalyse, l’une disant la vérité de l’autre. A l’époque où le structuralisme passait pour la continuité de Saussure. Où étaient pris Derrida, et Lacan, et Jean-Claude Milner avec L’amour de la langue. Serge Martin montre, par exemple chez Pascal Quignard, qu’on y retrouve le vieux dualisme. Sa mythologie. L’amour de la langue ne vaut pas mieux que l’amour de la poésie.

D’où la question : « l’esthétique relationnelle fait-elle le contraire de ce qu’elle dit ? » (p.215). Et on retrouve la « maxime ressassée » (p.216) de l’habitation poétique : la lecture de Hölderlin par Heidegger. Il y a ceux qui s’y sont incrustés, et ceux qui ne se laissent plus faire. L’esthétique ? La beauté, l’intention – « la conception classique de l’art » (p.228). Subjectivisme contre objectivisme, toujours du dualisme.

Contre cela, le poème. Contre sa réduction à des « petites technicités » (p.257), Serge Martin repart d’Apollinaire autant que de Benveniste, avec des poèmes de Calligrammes, un « récitatif de la relation » (p.273), ce qu’Apollinaire appelait des « prosodies personnelles » (cité p.277).

C’est ainsi qu’il peut faire l’analyse des « schémas » (p.299) de Michel Houellebecq, qu’il oppose à la sémantique sérielle d’« une voix amoureuse » (p.301) chez Bernard Vargaftig, pour « construire la notion de poème-relation » (p.307). D’où il montre « les pièges du raisonnement de Genette » (p.322), remonte à la Relation critique de Starobinski, en faisant une « critique de la relation » (p.326), et finit sur un « contre Barthes ». Il s’agit de mettre en crise les dualismes de toujours. Sa poétique est tonique, et annonce deux livres à venir, sur la « poétique du corps-langage » (p.358) et une Anthropologie du sujet amoureux. A suivre.


Laurent Mourey dans Europe, n° 912, avril 2005, p. 374-375.

A la grand’messe de la Poésie on décline les formes de l’amour avec celles de la célébration. Et les clichés sur la relation d’un je sans tu ou d’un tu inaccessible et absent dès que je parle et que je dis forment la procession et chantent en chœur. Avec leur morale du silence. Il y a à y voir clair, non pour une lumière nouvelle, mais pour écarter les séductions et en faire la critique. Pour faire son silence aussi. Un silence qui se met du côté du poème. C’est que lire et écrire le poème ont leur exigence. Et si penser le poème est une passion les traditionalismes laissent de larges insatisfactions et une impatience grandissante. Dans son récent ouvrage théorique Serge Martin enquête sur l’état de la pensée du poème et de la relation. Autant dire que l’enquête porte aussi sur l’état dans lequel sont laissés le poème, la pensée et la pensée du poème et de la relation. Il situe sa recherche dans une critique des historicités (historicités de la relation, des théories du langage et du poème) et notamment dans une critique de ce qu’il appelle les nombreux « rebroussements » de toute une tradition de lecture et d’écriture des poèmes.

C’est, écrit-il, « le défi de la poétique » que de « produire une théorie générale de la relation dans et par le langage. » (p. 44-45) Un défi à la pensée contre une tradition téléologique qui met la relation de l’autre côté du langage. Pour exprimer, célébrer, dire le manque, l’absent. Le Poème-pour commande les discours de la rhétorique, de la métaphysique, de la psychanalyse et des avant-garde qui ne s’aperçoivent même plus qu’ils mettent la relation avant ou après le poème, de toute façon toujours à côté et jamais dans. Du coup ils ratent le langage, son activité, le poème. Le fond, pernicieux, en est une dévalorisation du langage. On célèbre l’absent(e), on déplore le manque, on agite de l’Être présent-absent par la faute de ce maudit langage qui nous sépare de l’autre. Ou pire, on s’agite dans l’Être. Pour un peu on demanderait : « Et Dieu alors dans tout ça ? » La critique s’engage aussi contre les théologies du langage, des théologies négatives qui ne se savent pas toujours théologies.

L’enquête de Serge Martin, pour y voir plus clair et penser la relation dans sa poétique, pour aussi que le « et » de poétique et relation ne soit pas laissé aux dualismes, porte sur toutes ces logiques séparatrices du langage, les logiques du signe. Ce qui lui fait envisager, dès le début, « la relation amoureuse : un problème de poétique ». Ce qui le mène à lire les poèmes dits d’amour en les situant dans leur historicité, dans leur langage et toujours en travaillant la critique d’un problème : « Poétique et relation : vers de nouveaux rapports entre la théorie et la critique » - « La poésie est-elle toujours un manque d’amour ? » - « La mondialisation peut-elle se passer d’une poétique de la relation ? » - « L’amour de la langue rend-il la relation impossible ? » - « L’esthétique relationnelle fait-elle ce qu’elle dit ? » - « Poème et relation : vers l’interaction du rythme et du sujet ». Parce que lire le poème est l’enjeu, le défi et que la lecture, pour se situer, est traversière. Elle traverse les idéologies, les modes et les démodes. Elle est critique et, ce faisant, elle est relationnelle. Sans doute une lecture, sans critique de la relation critique, n’est-elle rien d’autre que de l’idéologie sans le poème ni le sujet.

Deux lectures agissent souterrainement dans le livre puis sont explicitées à la fin. Deux lectures dont les enjeux sont opposés : Henri Meschonnic, avec Dédicaces proverbes, montrant « une historicité radicale du langage : ici, du langage amoureux qui ne change pas seulement l’amour, mais aussi toute relation. » (p. 349) Et Roland Barthes, avec Fragments d’un discours amoureux où l’idéologie de « l’impuissance du langage » reçoit les beaux vêtements de l’ « esthétisation » (p. 355). Ces deux lectures qui semblent à bien des égards fondatrices révèlent ce à quoi la recherche et l’aventure théorique de Serge Martin travaillent : à reconnaître les pensées et les pratiques du langage qui mettent l’amour et le poème dans le discontinu et veillent à leur bonne vieille rhétorique, cachée sous divers esthétismes. Mais surtout à lire des œuvres dans leur singularité et à reconnaître les poèmes qui sont une activité, une force de langage qui transforme la lecture. Les poèmes, la lecture et l’écriture, avant et après. Et là on peut citer Sophie Loizeau, Valérie Rouzeau, Guillaume Apollinaire, Amandine Marembert, Bernard Vargaftig, Henri Meschonnic. Des lectures qui agissent. Des poèmes qui refont le langage, l’amour et la relation.

Le livre s’interrompt par une « ouverture », parce qu’une pensée ne se ferme pas et que l’ouverture est la seule forme possible du poème et de la pensée. On n’éteint pas la lumière, ni ne ferme la porte en oubliant le langage. On le rêve ensuite dans des « poèmes relation ». Le « contre Barthes » qui finit le livre ouvre sur des questions « pour écrire une poétique du corps-langage avec les rythmes amoureux ». Deux livres à venir qui « compléteront [et ainsi continueront] celui-ci : Rythmes amoureux. Poétique du corps langage et Langage et relation » Le continu d’une pensée est un infini. Le poème, la théorie se continuent, nulle part.

Je l’écris aussi pour ceux qui le savent, Serge Martin est poète sous le nom de Serge Ritman. De Martin à Ritman le poème et la théorie entrent en résonance. Le rapport est un continu, non un transport : pas d’art, ni d’intention poétique dans la théorie. Mais certainement le poème de la théorie, ce qui est une toute autre manière de vivre et d’écrire le rapport entre les deux. Ce qu’on peut lire dans le récent recueil de Serge Ritman Ta Résonance (éditions Océanes, 2003) : « une énonciation qui ne sait pas à l’avance où va le conduire ce je en devenir dans le poème qui n’est ni objectif ni subjectif ni lyrique ni anti-lyrique mais tout simplement parole donnée et donc réponse ou réponse attendue ou question lancée dialogue » (p. 66) Ceci pour le rapport, ici explicite, déclaré, entre le poème la théorie. Un rapport dans et par le continu de l’œuvre. Un rapport qui n’est sans doute pas tant souhaité qu’inévitable, et qui fait aussi toute sa force. C’est qu’avec le langage on n’a pas le choix. On ne sépare pas. La logique et l’articulation volontariste sont bonnes pour les dualismes qui accomplissent leur dévotion sur l’autel de l’Etre de la Poésie. Le poème, lui, a d’autres choses à faire entendre. La théorie est de tout le poème qui en est le récitatif. Une même aventure, une pratique et une tenue des questions, les lie. La théorie ainsi entendue a, à chaque moment, une oreille dans le chantier du poème à venir.

Gérard Dessons dans Le Français aujourd’hui, n° 153, juin 2006.

En portant sa réflexion à la croisée de l’amour et de la relation critique, Serge Martin affirme une posture ambitieuse, puisqu’il propose de penser l’une par l’autre ces deux notions, et cela à l’intérieur même de la question du langage. C’est donc une véritable gageure qui le conduit à postuler qu’écouter le discours amoureux des poèmes peut augmenter l’attention à la relation dans le langage. Ce qui revient à penser une théorie du poème par la relation dans le langage, et une théorie de la relation dans le langage par une théorisation du poème. On aura compris que le projet dans lequel Martin s’inscrit est celui d’une poétique – précisément une poétique de la relation –, élaborée à partir de l’œuvre d’Henri Meschonnic, dont la pensée est au fondement de l’ensemble du travail, notamment par le concept central d’historicité radicale du langage.

L’idée de départ de cette recherche est celle d’une constatation : « le défi fait généralement à la poésie de répondre par une autre parole au manque ou, pour le moins, au désir de relation » aboutit généralement à une « déréliction généralisée », la relation critique s’abîmant dans le thématisme ou le formalisme, quand elle n’aboutit pas à un désenchantement radical conduisant le poème à devenir l’énoncé rhétorique d’une impossibilité relationnelle. C’est, par exemple, la critique que Martin formule à propos de la déploration (le poème-thrène) comme mode poétique relationnel, reposant sur l’idée paradoxale d’une relation rendue possible par l’absence de relation. Il s’agira donc de savoir si la déploration, « forme de langage issue d’une forme de vie, ouvre à des formes de vie relationnelle ou se complaît dans un déni du langage et donc de la relation. »

Cette quête de la relation se légitime d’être une activité critique : « inventer une critique relationnelle qui produirait ses propres termes » et qui consisterait dans « le travail continuel des interactions à situer, à se situer ». Il est donc nécessaire, pour tenir cette visée, de « faire de la critique un discours », et de « faire du discours une critique des discours, y compris du discours de la critique. » C’est à cette condition que l’approche du poème pourra participer à « l’intégration dans la relation critique de la critique de la relation. » Cette position engage, dans la mesure où elle induit l’attitude même de l’analyste, dont la réflexion sur ces questions ne peut que s’appuyer sur la critique des autres discours, qu’ils soient théoriques ou « poétiques ». On pense au mot d’Henri Meschonnic : « toute critique se critique ».

Ces conditions font que l’ensemble du travail se présente comme une « enquête », selon le mot de Martin, sur la notion de relation, dressant un vaste panorama de théoriciens et de poètes pour qui la notion de relation est un objet de pensée et d’écriture. La recherche se donne pour fin de « vérifier leurs ambitions relationnelles dans leurs domaines respectifs », qu’il s’agisse de littérature, de linguistique ou de psychanalyse.

Quand on regarde le travail effectué, on est frappé de l’homologie qui existe, chez Martin, entre la réflexion théorique et la méthode qui la met en place : penser le continu de la relation dans le discontinu de l’exemplification. Cette tension méthodologique permet de porter l’analyse au plus proche de la pensée singulière des auteurs, comme celle de Jean Starobinski. Ainsi, tout en soulignant l’avancée que constitue la promotion d’une critique « en mouvement » et sa sortie du dualisme par le trajet d’une relation critique conjoignant historicité et pluralité, Martin propose que l’auteur de La Relation critique, en dépit des apparences, n’est pas allé, dans son projet de réfléchir sur « le sens de la critique », jusqu’à tenter une critique du sens, laquelle aurait nécessité une critique de la relation.

Autre penseur de la relation, Edouard Glissant, dont le projet d’une Poétique de la relation est jugé « remarquable », apparaît comme se tenant plus de côté d’une rhétorique (coïncidence des contraires et tenue des termes à la façon hégélienne) que d’une poétique de la relation.

C’est en fait, comme toujours, l’attention portée au statut du langage qui se révèle déterminante dans le jugement sur les poètes de la relation, et permet de mettre au jour les problématiques qui renvoient hors langage les rapprochements du sujet, de l’amour et de la poésie. Martin montre ainsi que chez Martine Broda l’amour du nom révèle davantage l’amour de l’amour du nom, qu’une écoute de l’activité du nom dans le poème du langage, répétant en cela une doxa d’époque sur la langue et sur la poésie : « l’amour de l’amour et l’amour de la langue sont indissolublement unis ». Cette réactualisation de thèses traditionnelles sur le langage et l’amour ne permet pas de percevoir la relation amoureuse au cœur du langage, au cœur des poèmes.

Le livre de Martin montre également les ambiguïtés d’un Pascal Quignard, qui « fait une recherche qui souvent met du corps dans le langage, souvent met du rythme dans le discours, souvent suggère la relation au cœur du langage », et se prend finalement « aux raffinements de son nihilisme », transformant ainsi un projet de poétique en un esthétisme.

On ne peut passer ici en revue tous les discours que Martin analyse en y dénonçant le formalisme et la sujétion au modèle du signe. Signalons cependant la critique du travail de Jean-Claude Milner (L’Amour de la langue), chez qui la « politique du signe ne fait pas une politique du sujet, des sujets », parce qu’elle conduit « une politique du discontinu, de la non-relation ». Alors, conclut Martin, « l’amour de la langue ne peut être que malheureux ». C’est ce qui explique le malentendu linguistique qui, en faisant du sujet une question grammaticale, le place dans la langue, et, par là même, l’évacue du discours.

Le travail de Martin est à la fois un travail d’analyse et d’écriture (Martin est également poète). On rencontre ainsi, au détour d’un propos spéculatif, une phrase qui fait entendre le poétique de la critique. Par exemple, au propos du poète Daniel Maximin disant que « la poésie tourne avec la terre » Martin répond : « Nous pensons que les poèmes tournent dans la bouche des hommes. » Des phrases, aussi, érigent la parataxe en mode critique, comme celle-ci, en clausule : « Passage du rythme, rythme du passage dans et par le langage : relation. »

Dans cette recherche, les approches des critiques et des poètes sont toujours situées, et mises en rapport avec l’époque qui partage leur historicité. Il est ainsi important de souligner que le texte de Jean Tortel, Relations, date de 1968, époque, rappelle Martin, qui amorce le « retour du sujet ». Le travail d’Edouard Glissant sur la relation ne peut pas non plus être séparé de son contexte historique, l’époque de la mondialisation.

De rares discours ont la particularité (la force ?) de mettre la lecture critique en suspens, à l’image d’un propos de Christian Prigent : « la langue fait corps », qui suscite chez Martin une double hypothèse de lecture. Soit ce propos évoque une expérience « qui est fondamentalement la possibilité d’une individuation, soit c’est une biologisation d’une catégorie historique. » Quelle approche du poème faudrait-il pour esquisser un début de réponse ?

Le volume se referme sur le travail d’Henri Meschonnic, qui clôt l’enquête dans une conclusion en forme d’ouverture (elle-même suivie d’une « ouverture » intitulée « contre Barthes », qui vise Fragments d’un discours amoureux). Martin y met en évidence l’écriture « impersonnelle » du recueil Dédicaces proverbes (1972), où se dessine une « anthropologie historique de l’amour œuvrant comme poétique de la relation dans et par le langage ».

« Tout comme on devrait chercher à être le poète de sa vie, il faut veiller à écrire le poème de sa pensée ». Ce propos, en fin de livre, est tourné vers la tentative de définir un « poème-relation », qui fait l’objet d’un deuxième ouvrage intitulé Langage et relation. Poétique de l’amour (L'Harmattan, 2005), tome ultime d’une trilogie dont le « cœur » est constitué par un ouvrage à paraître, Rythmes amoureux. Poétique du corps-langage.


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